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Les professionnels de la santé
Synthèse
Les professionnels de la santé (PDLS) constituent, au Luxembourg comme dans tous les pays, le pilier central du système de santé. Il est essentiel de pouvoir compter sur un effectif suffisant de PDLS, dotés de l’éventail voulu de compétences, pour atteindre les objectifs sanitaires de la population et en couvrir les besoins. Améliorer la disponibilité, la qualité et l’utilisation des données concernant les PDLS, et organiser ces données dans un cadre d’analyse cohérent, permet de soutenir l’élaboration de politiques sur base de données robustes.
La quantification des professionnels de la santé au Luxembourg est complexe en raison de la multiplicité de sources de données qui ne sont pas consolidées. Divers registre et bases de données distincts renseignent des effectifs de PDLS variables selon la source, la fréquence de mise à jour et la méthodologie utilisée. Un rapport a révélé en 2019 les limites de ces données pour estimer les effectifs nationaux du personnel médical et de santé, tout en démontrant le potentiel des données de facturation de la Caisse nationale de santé (CNS) pour quantifier les médecins et autres PDLS praticiens. Cependant, faute de méthode validée, aucune actualisation des statistiques n’a été réalisée, et le Luxembourg n’a pas fourni de données au questionnaire commun sur les statistiques non monétaires des soins de santé (Joint Questionnaire on Non-Monetary Healthcare Statistics, JQNMHC) depuis 2017, rendant l’analyse et les comparaisons internationales difficiles.
Pour relever les défis stratégiques liés aux PDLS et à leur planification, la loi du 2 mars 2021 confie à l’Observatoire national de la santé (ObSanté) la mission d’étudier l’évolution et l’adéquation des ressources en professionnels de la santé au sein du système de santé. Ce rapport vise donc à fournir un support méthodologique à l’évaluation quantitative des PDLS, par profession et spécialité. Ce rapport se focalise spécifiquement sur les objectifs suivants :
- Définir les PDLS autorisés à exercer, professionnellement actifs et praticiens, et établir une méthode pour les quantifier,
- Établir une méthode pour quantifier l’activité des PDLS praticiens,
- Établir une table de correspondance entre les catégories de PDLS définies au niveau international et les titres et dénominations des professions médicales et de santé en vigueur au Luxembourg.
Pour établir des méthodes qui reposent sur des données actuellement disponibles, l’ObSanté a adopté une approche mixte, reposant sur une revue de la littérature suivie par des ateliers ciblés avec des parties prenantes nationales, et complétée par une consultation large reposant sur la méthodologie « Delphi ». Cette approche a permis de garantir la transparence et de construire un consensus sur la pertinence, la clarté et l’adéquation des définitions et des méthodes pour évaluer les ressources humaines en santé actives au Luxembourg, tout en recueillant les avis des parties prenantes.
Les données utilisées pour les définitions et la quantification des PDLS et pour la mesure de l’activité des PDLS praticiens sont des données administratives qui proviennent :
- De la CNS, pour les données de facturation des PDLS,
- Du Centre commun de la sécurité sociale (CCSS), pour les données d’affiliation des salariées et des indépendants,
- Du registre des professions de santé (RDPS), pour les autorisations d’exercer.
Les données ont été mises à disposition par l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS) et analysées dans l’environnement de la Microdata Platform on Labor and Social Protection (MDP).
Quantification des PDLS autorisés à exercer, professionnellement actifs, et praticiens
Le rapport vise à définir les critères génériques de catégorisation des PDLS selon leur activité. La distinction entre les PDLS « autorisés à exercer », « professionnellement actifs » et « praticiens » est essentielle pour analyser leur contribution au système de santé, comme le recommande le guide méthodologique du JQNMHC. Cette structuration facilite également les comparaisons internationales et prend en compte les effectifs des PDLS professionnellement qualifiés qui pourraient être mobilisés en cas de besoin.
L’adoption et l’implémentation de ces critères permettra au Ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale (M3S) de documenter de manière transparente et fiable le nombre de PDLS selon des standards internationaux comparables, et de faciliter la transmission des données conformément au Règlement européen (UE) 2022/2294 de la Commission du 23 novembre 2022. Au Luxembourg, la distinction entre ces trois catégories d’activité s’établit comme suit :
o PDLS « autorisés à exercer » : cette catégorie inclut tous les PDLS titulaires d’une autorisation d’exercer au Luxembourg, actifs ou non, quel que soit leur pays de résidence. Sont exclus de cette catégorie les PDLS détenteurs d’un diplôme ou d’un titre reconnu mais ne disposant pas d’une autorisation d’exercer, ainsi que ceux dont l’autorisation d’exercer a été retirée ou est devenue caduque.
o PDLS « professionnellement actifs » : cette catégorie inclut tous les PDLS titulaires d’une autorisation d’exercer et qui ont une activité professionnelle au Luxembourg, indépendamment de la structure dans laquelle ils exercent cette activité (établissement, cabinet privé, administration publique, organisation, industrie), de leur mode d’exercice (indépendant, salarié, mixte) ou de leur pays de résidence (résident, non-résident). Ce groupe peut être impliqué dans la prestation de soins aux patients ou non. Sont exclus de cette catégorie les PDLS qui sont détenteurs d’un diplôme ou d’un titre reconnu sans disposer d’une autorisation d’exercer, car le Luxembourg n’impose pas l’enregistrement des diplômes et titres des PDLS en-dehors des demandes d’autorisations d’exercer.
o PDLS « praticiens » : cette catégorie inclut tous les PDLS titulaires d’une autorisation d’exercer et qui fournissent des services et soins de santé directement aux patients. Cette catégorie inclut tous les PDLS pour lesquels une prestation à été facturée et émise à la CNS ainsi que les PDLS salariés dont les heures sont déclarées auprès d’un employeur dont l’activité relève du secteur de la santé, des soins ou du social (codes NACE : division 86, 87 ou 88 ou groupe 47.7). Sont exclus de cette catégorie les PDLS salariés auprès d’un employeur dont l’activité ne relève pas d’une des catégories précitées.
L'application des critères et de la méthode proposés ci-dessus a montré la faisabilité du recensement des PDLS selon ces trois catégories sur base des données actuellement disponibles. Illustrée par un cas d’usage (la quantification des médecins généralistes (MG)), cette méthode fournit une information plus complète et exhaustive des effectifs de MG que les méthodes utilisées antérieurement. Cette avancée significative permettra de produire des fiches techniques décrivant la démographie de chaque profession et groupe professionnel et, pour chaque groupe professionnel, le nombre et la distribution des professionnels actifs et le nombre et la distribution des praticiens, ainsi que la durée de leur carrière au Luxembourg.
Cependant, cette méthode présente diverses limitations, inhérentes aux sources de données. Les registres professionnels, conçus pour gérer les autorisations d’exercer, ne couvrent pas les diplômes ou qualifications de PDLS ne donnant pas lieu à une autorisation d’exercice, ni les PDLS ayant un titre professionnel mais n’ayant pas sollicité d’autorisation d’exercer, car leur activité (enseignement, recherche ou autre) ne l’exige pas. Ces derniers ne sont dès lors pas comptabilisés dans les effectifs actifs. De plus, les PDLS salariés ou exerçant leur profession en mode mixte (salariée et indépendant concomitamment), sans prestations opposables à l’assurance maladie-maternité (AMM), dont l’employeur relève d’un secteur autre que celui des soins de santé, peuvent également être omis du recensement des PDLS praticiens. Ainsi, la méthode utilisée tend à sous-estimer les effectifs réels des PDLS professionnellement actifs et des PDLS praticiens.
Méthode d’évaluation quantitative de l’activité des PDLS praticiens
Une fois les PDLS praticiens recensés, il reste à évaluer leur contribution effective à la dispensation des soins à la population. En effet, qu’il soit salarié ou indépendant, un praticien qui exerce sa profession à temps partiel ne peut pas être comptabilisé comme un salarié à temps plein, ni comme un indépendant qui consacre l’intégralité de sa capacité de travail à sa pratique. S’il est relativement simple de quantifier le taux d’activité des PDLS salariés sur base des heures de travail déclarées mensuellement au CCSS, il n’en est pas de même pour les PDLS indépendants.
Il est donc nécessaire d'élaborer des méthodes spécifiques et adaptées à l’évaluation de l'activité des PDLS indépendants avec la même rigueur que celles qui sont appliquées aux salariés. Ce rapport propose deux méthodes distinctes pour calculer le taux d’activité des PDLS praticiens au Luxembourg, ces PDLS pouvant être salariés, indépendants ou avoir une activité mixte :
1. Méthode applicable aux PDLS salariés
Cette méthode se base sur le calcul de l’équivalent temps plein (ETP). Le calcul de l’ETP repose sur le nombre réel de jours travaillés, excluant les jour fériés légaux et les weekends, conformément aux règles du CCSS.
2. Méthode applicable aux PDLS indépendants ou à activité mixte
La deuxième méthode repose sur un développement de l'Institut national belge d'assurance maladie-invalidité (INAMI). Cette méthode utilise les montants facturés des prestations et émis à la CNS pour évaluer le taux d’activité des praticiens. Au Luxembourg, tous les médecins qui prodiguent des prestations à des personnes couvertes par l’AMM facturent leurs actes et adressent ces factures soit directement à la CNS dans le cadre d’un tiers payant, soit par le patient qui adresse la/les prestation(s) facturée(s) à la CNS pour remboursement. Par conséquent, le niveau d'activité de tous les médecins praticiens, quel que soit leur statut d'emploi, peut être évalué de manière uniforme en utilisant cette méthode.
Le taux d’activité des PDLS praticiens est ainsi calculé par rapport à l’activité d’un groupe de référence de sa spécialité, constitué des praticiens âgés de 35 à 64 ans. Pour chaque spécialité, le calcul est réalisé en suivant les étapes suivantes :
A. Tous les PDLS praticiens âgés de 35-64 ans (groupe de référence) ayant réalisé au moins une prestation mise en facturation dans la période de référence (p.ex. 2023) sont sélectionnés.
B. Pour chacun des PDLS praticiens, la « facturation mensuelle individuelle » (correspondant aux montants des prestations mises en facturation et envoyés à la CNS) est calculé.
C. En parallèle, les associations de PDLS sont sélectionnées et le nombre de PDLS individuels appartenant à chaque association est comptabilisé. « La facturation mensuelle » de chaque association est répartie de façon uniforme sur ses membres, s’ajoutant à leur « facturation mensuelle individuelle » pour obtenir la « facturation mensuelle agrégée » de chaque PDLS.
D. Enfin la « facturation mensuelle agrégée » est cumulé sur l’année calendrier pour obtenir une « facturation annuelle agrégée » pour chaque PDLS.
E. La médiane de « facturation annuelle agrégée » dans le groupe de référence (les PDLS âgés de 35 à 64 ans) est calculée par année. Cette médiane correspond aux taux d’activité médian (TAM) de l’année correspondante provenant du groupe de référence.
F. L'activité relative de chaque PDLS est le rapport entre sa « facturation annuelle agrégée » et le TAM pour sa profession au cours de la même période.
G. À partir du moment où l’activité relative de chaque PDLS praticien indépendant est déterminée, deux possibilités de quantification de l’activité se présentent lorsque le taux d’activité d’un PDLS est >1 TAM :
i. Soit le taux d’activité est plafonné à 1 et l’activité de ce PDLS est comptabilisée comme 1 TAM.
ii. Soit le taux d’activité n’est pas plafonné est le taux réel calculé est comptabilisé, tenant compte des PDLS à activité élevée (>1 TAM) dans l’estimation.
Cette méthode offre pour la première fois la possibilité de déterminer le taux d’activité pour les PDLS praticiens indépendants au Luxembourg. Son application pour les MG praticiens en démontre non seulement l’intérêt pour l’appréciation quantitative de l’activité au sein d’un groupe mais aussi la diversité des profils d’activité au sein de ce groupe. Ce modèle de quantification comporte cependant certaines limitations. Tout d’abord, dans le cas des associations professionnelles de praticiens, la facturation d’actes sous un code prestataire d’association, sans indication explicite du professionnel ayant réalisé la prestation, est répartie de manière uniforme sur tous les membres de l'association. Cette répartition ne reflète pas nécessairement la réalité, car certains membres de l'association peuvent être plus actifs que d'autres. Le calcul ne prend pas en compte les prestation mise en facturation mais non émis à la CNS ainsi que l’ensemble des prestations réalisées au bénéfice des patients non affiliés à l’AMM. Il en résulte une sous-estimation du TAM, dans une proportion qui ne peut être estimée actuellement.
En outre, bien que les tarifs des actes et services soient établis en tenant compte de leur complexité technique, de l’effort et du temps nécessaires à leur réalisation, les variations de pratiques au sein d’une même discipline ou profession peuvent engendrer une distribution assez large de l’activité des prestataires individuels. Enfin, la structure de remboursement des actes et services variant considérablement selon les spécialités médicales et plus largement pour l’ensemble des PDLS, ce taux donne une appréciation de l’activité au sein d’une profession sans cependant permettre de comparaison entre les professions. Il en résulte qu’un TAM de référence unique basé sur les données de remboursement ne peut être établi pour l’ensemble des spécialités et professions.
La mesure du temps de travail pour l’estimation de la contribution des professionnels salariés aux soins de santé a le mérite d’être plus aisée à quantifier mais elle ne tient pas compte du volume, de l’intensité ni de la complexité du travail effectué. Pour autant, cette mesure tient compte du temps consacré aux tâches administratives, à la gestion et à l’organisation des soins, tâches qui sont intrinsèques à la délivrance de soins de qualité. En l’absence de données permettant d’estimer le temps de travail correspondant à un TAM par profession, la quantification des PDLS en ETP ne peut être réconciliée avec la mesure du TAM applicable à cette même profession. Pour les professions comptant une proportion faible de salariés, la quantification de l’activité par le TAM sera peu affectée ; inversement, pour les professions comptant une proportion très élevée de salariés, l’activité exprimée en ETP sera pertinente. En revanche, pour les professions comptant une proportion significative de praticiens indépendants et salariés, la quantification de l’activité devra considérer les deux modes d’exercice séparément.
Table de correspondance entre les catégories de PDLS définies au niveau international et les titres et dénominations des professions médicales et de santé en vigueur au Luxembourg
En raison de l’importance de disposer de données comparables avec d’autres pays, une table de correspondance a été établie entre les groupes et sous-groupes professionnels définis par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et les intitulés professionnels utilisés au Luxembourg. Cette table de correspondance permet de situer et, le cas échéant, de regrouper les professionnels de la santé selon leurs compétences de manière harmonisée, et vise à guider la communication de données nationales aux instances supranationales. Elle précise également les professions qui, au Luxembourg, font l’objet d’une reconnaissance ou d’une réglementation par le ministre ayant la Santé dans ses attributions ou par le ministre ayant dans ses attributions les autorisations d’établissement, ainsi que les professions faisant l’objet de conventions avec la CNS. Cette table de correspondance identifie en outre les professions qui ne sont régies par aucune disposition au Luxembourg et pourra, après estimation d’éventuels besoins, inciter à la réflexion quant à l’opportunité de reconnaître des compétences et qualifications supplémentaires.
Perspectives et recommandations
L’application des définitions et des méthodes établies dans ce rapport permettra d’établir, pour chacune des professions de la santé, des fiches techniques reprenant les informations clés propres à ces professions, et leur évolution démographique. Ces données quantitatives pourront alimenter les statistiques récoltées dans le cadre du JQNMHC et répondre aux exigences du règlement européen (UE) 2022/2294 de la Commission, tout en offrant une base solide de comparaison avec les États membres de l’UE.
La table de correspondance des groupes et sous-groupes professionnels définie par le l’OMS révèle les professions qui ne sont régies par aucune disposition au Luxembourg et pourra, après estimation d’éventuels besoins, inciter à la réflexion et alimenter les discussions quant à l’opportunité de reconnaitre des compétences et qualifications supplémentaires et spécialisées.
Les limitations observées dans la capacité actuelle à documenter et à quantifier les PDLS amènent à formuler les recommandations suivantes :
- Constituer un registre unique pour l’ensemble des PDLS, répondant aux finalités des diverses instances, facilitant ainsi la collecte et le traitement harmonisé de données, en introduisant des modalités de mises à jour automatisées à partir de sources fiables.
- Renforcer l’utilisation du code prestataire individuel par les membres d’une association de professionnels praticiens, afin de faciliter la quantification de l’activité des PDLS praticiens sans le « lissage » induit par la répartition des activités de l’association sur l’ensemble de ses membres, et de fournir une base plus précise pour la planification des ressources, en particulier les remplacements.
- Entamer une réflexion sur la possibilité de quantifier de manière standardisée l’activité des PDLS praticiens, à l’instar de pratiques observées dans d’autres pays, en tenant compte des diverses modalités d’exercice salarié et libéral ; un standard permettant de réconcilier l’expression de l’activité en ETP et en TAM fournira des données robustes pour chaque profession, mieux exploitables pour la planification.
- Procéder à l’enregistrement systématique des diplômes et qualifications des professionnels de la santé, indépendamment de l’existence d’une autorisation d’exercice, afin de fournir une image complète des compétences professionnelles potentiellement mobilisables pour le système de santé ; un enregistrement incluant le pays de délivrance des diplômes fournit en outre des informations utiles sur les langues maîtrisées et les dynamiques migratoires en relation avec les formations professionnelles, permettant d’apprécier au mieux les besoins non couverts au Luxembourg.
Conclusion
En conclusion, le développement et l’application de définitions et de méthodes permettant de préciser les catégories (PDLS praticiens, professionnellement actifs, autorisés à exercer) et le taux d’activité des PDLS représentent une avancée considérable pour le Luxembourg. Les données relatives aux effectifs des PDLS et à leur taux d’activité, générées sur base des méthodes de ce rapport, permettront d’observer les tendances au fil du temps, tant de manière générale pour l’ensemble des PDLS que pour des groupes ou sous-groupes professionnels spécifiques, d’identifier les risques de pénurie et de contribuer, sur bases factuelles, à la planification des ressources humaines en santé afin d’en assurer la disponibilité pour dispenser des soins aux patients et répondre aux objectifs sanitaires nationaux.